Récits d'Histoire et de Mode

Magazines, affiches, défilés, la photographie a une présence telle dans le monde de la mode qu’il est aisé d’oublier qu’il fût un temps où les coups de crayon des dessinateurs avaient pour mission de sublimer les créations des maisons de Haute-Couture.
Présente dès le XVIIème siècle au travers des gravures, l’illustration de mode connaitra ses heures de gloire à partir des années 1930 mais la naissance de la photographie de mode remettra en cause ce statut et le dessin se verra contraint de lui céder peu à peu la place à partir des années 1950.
S’il est un nom à retenir dans le domaine de l’illustration de mode, c’est celui de René Gruau. Né à Rimini en 1909, Renato Zavagli-Ricciardelli delle Caminate s’installe à Paris avec sa mère en 1924 et francise son nom. Renonçant aux dessins d’architecture, il se tourne vers l’illustration de mode et publie à la même époque son premier dessin, avec le soutien d’une amie de sa mère, rédactrice du magazine italien Lidel. Son travail est rapidement apprécié.
Les années 1930 verront sa réputation grandir, il réalise une première illustration pour Balmain et est publié dans de nombreux magazines français et étrangers tels que Fémina, Marianne, Marie-Claire, Fashion Age ou encore Woman and Beauty. Une des rencontres les plus importantes de sa vie aura lieu au journal Le Figaro, lorsqu’il fait la connaissance de Christian Dior, lui-même illustrateur, et avec lequel il nouera une solide amitié et une grande complicité professionnelle.
Pendant les années de guerre, René Gruau s’installe à Lyon et ensuite à Cannes. Il publie quelques dessins pour le magazine Marie-Claire et tente d’exposer ses œuvres mais les temps sont difficiles pour l’illustrateur.
De retour à Paris en 1947, la carrière de René Gruau connait un renouveau lorsqu’il débute sa collaboration avec Christian Dior pour le lancement du New Look. Dior laisse à Gruau toute liberté artistique, ce qui permet à l’illustrateur de s’épanouir pleinement.
La mode selon Gruau, c’est la représentation de la Parisienne, élégante et mystérieuse à l’aide de ses trois couleurs emblématiques : le rouge, le noir et le blanc. Il définissait l’élégance comme suit : « L’élégance est un fluide, donc par nature difficile à définir, mais elle est faire de vouloir et de savoir, de grâce, de raffinement, de perfection, de distinction. »
En 1948, René Gruau tente sa chance aux États-Unis, il y travaille pour Harper’s Bazar, occasionnellement pour Vogue et devient l’artiste exclusif pour Flair. Mais les méthodes de travail différentes et surtout la peur de perdre son autonomie créatrice le feront rapidement revenir en France.
Avec l’arrivée de la photographie dans la presse de mode, René Gruau pense à sa reconversion et se tourne vers la publicité. Il travaille pour les grands noms du luxe parisien dans les domaines de la mode, de la parfumerie et des accessoires. En 1956, il commence à travailler pour les cabarets et les théâtres. Le Lido, le Moulin Rouge et le Casino de Paris font appel à lui pour créer costumes et décors.
Sa collaboration avec la maison Dior se poursuit jusque dans les années 1980. Gruau signe les illustrations publicitaires des parfums les plus iconiques de la maison tels que Miss Dior, Diorama et Diorella. En 1957, toujours chez Dior, Gruau commence à dessiner pour la mode masculine. En 1966, il réalise les premières publicités pour le parfum Eau Sauvage et en 1980, l’illustration publicitaire pour Jules. En 2011, John Galliano lui rend hommage avec sa dernière collection, toute en fluidité, effets ombrés et couleurs en clair-obscur.
Son talent, reconnu des plus grands créateurs, lui permet de poursuivre son activité artistique bien après l’arrivée de la photographie dans la presse, ce qui lui vaut d’être surnommé le dernier survivant des grands illustrateurs de mode. Jusqu’à son décès en 2004 à Rome, il continue de travailler pour Balmain, Rochas, Givenchy, les magazines Elle, Vogue ou encore Madame Figaro. En tout, ce ne sont pas moins de 167 marques de luxe qui utiliseront ses illustrations.
À partir des années 1980, le travail de René Gruau est mis en valeur avec l’organisation d’expositions autour de ses illustrations.
Christian Lacroix disait « Une robe réussie est celle qui a la netteté et l’aplomb d’un Gruau ».